Le point sur les critères d’éligibilité aux ASC

Cela fait trente années que la jurisprudence a dégagé le principe de non-discrimination selon lequel une activité sociale et culturelle (« ASC ») doit être accessible à tous les salariés sans distinction.

Depuis longtemps, il était communément admis et même accepté par l’administration que les CSE pouvaient conditionner l'accès des salariés aux prestations ASC à des critères d'ancienneté. L’URSSAF, dans son guide pratique CSE 2024, déclarait même il y a quelques mois : « Ce bénéfice peut être réservé aux salariés ayant une ancienneté, dans la limite de six mois. ».

Par un arrêt du 3 avril 2024, la Cour de cassation a pris de l’élan et a mis un énorme coup de pied dans la fourmilière des CSE en considérant que l’ancienneté ne pouvait plus être un critère d’éligibilité aux ASC par cette phrase lapidaire : « Il résulte de ces textes que, s'il appartient au CSE de définir ses actions en matière d’ASC, l'ouverture du droit de l'ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l'entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles ne saurait être subordonnée à une condition d'ancienneté»

Dans cette affaire, le CSE de Groupama fait voter en 2019 une résolution conditionnant l’accès aux ASC aux salariés ayant au moins six mois d’ancienneté, et ce, à compter du 1er janvier 2020. Les représentants de la CGT au CSE de Groupama, en désaccord avec cette résolution, assignent le comité devant le tribunal judiciaire.

Le tribunal judiciaire, puis la cour d’appel, considèrent que la prise en compte de l’ancienneté n’est pas discriminatoire. Mais la Cour de cassation finit par trancher à l’exact opposé cinq années après les faits. Qui a dit que la justice était lente ?

Par ailleurs, la Cour de cassation ne dit pas que le critère de l’anciennet est discriminatoire, elle dit juste qu’il n’est pas possible de l’utiliser, car - on l’imagine - il n’est pas prévu par les textes.

C’est une position purement légaliste. En effet, en consultant les deux seuls articles du Code du travail qui nous parlent des ASC (C. trav. art. L. 2312-78 et R. 2312-35), à aucun moment une condition d’ancienneté n’est prévue. Les CSE n’avaient donc pas le droit de créer des barrières où la loi n’en mettait pas.

Une espèce de coutume s’est créée en parallèle du Code du travail pendant des décennies, et elle a été encouragée par l’URSSAF lui-même. Le droit des prestations ASC des CSE (ou des employeurs en l’absence de CSE) est tellement peu codifié dans la loi – le législateur s’en étant totalement désintéressé – qu’il était évident qu’on allait arriver à cette situation où la jurisprudence vient contredire frontalement les tolérances administratives.

Il y avait cependant quelques signes précurseurs, et notamment une réponse du ministère du travail à une question parlementaire qui rejetait déjà l’ancienneté comme critère en 2014 (Rép. Pellois : JO AN 6-5-2014 p. 3688 n° 43931). Cette réponse du ministère du travail a été conspuée par les auteurs en droit du travail pendant 10 ans mais force est de constater qu’elle a bien vieilli.

1.       QUELS CRITERES SONT INTERDITS ?

La liste des critères interdits pour l’éligibilité et la modulation du bénéfice des ASC s’allonge avec le temps. Il est maintenant interdit de prendre en compte :

-          L’ancienneté

-          Le statut (cadre / non-cadre) 

-          La classification conventionnelle

-          L’appartenance syndicale

-          La nature du contrat de travail (CDI/CDD, stage)

-          L’existence d’une période d’essai

-          L’existence d’un préavis

-          La présence effective ou non dans l’entreprise

Sur ce dernier point de la présence effective, on fait référence à la fois à la quotité de temps de travail (temps partiel / temps plein) et aux périodes de suspension de contrat de travail. Une réponse ministérielle de 2011 (Rép. min. n° 84460 : JOAN Q, 13 déc. 2011, p. 13125) considérait déjà qu’exclure les salariés en longue maladie du bénéfice des ASC était discriminatoire.

Certains auteurs avaient pu conclure que cela donnait toujours le droit aux CSE d’exclure les cas de suspension de contrat de travail non indemnisés par l’employeur (ex : congé parental, congé sabbatique, congé de création d’entreprise, arrêt maladie de longue durée…etc.) du moment qu’ils étaient tous traités de la même manière.

Ces positions ont cependant été contredites par la jurisprudence récente, où des cours d’appel ont sanctionné des CSE qui avaient posé l’exigence d’une durée de présence minimale sur l’année pour bénéficier des ASC (CA Amiens, n°19/00284 – 24 janvier 2020 ; CA Douai, n°517/18 – 21 décembre 2018).

Certains autres auteurs ont ensuite essayé de dégager un nouveau critère, celui du versement du salaire sur l’année. En effet, un salarié en suspension de contrat de travail non assimilée à du temps de travail effectif (ex : cas listés plus haut) et donc non rémunérée par l’employeur ne rentre pas dans le calcul de la masse salariale et ne contribue pas à l’alimentation du budget du CSE. Dès lors, il semblait légitime de l’exclure du bénéfice des ASC.

A notre sens, ce critère subirait le même sort que celui de l’ancienneté s’il passait devant la Cour de cassation. En effet, même si on peut discuter de son caractère discriminatoire ou non, à aucun moment ce critère n’est légalement prévu. De plus, les stagiaires sont englobés par la loi dans les bénéficiaires des ASC et il est possible qu’ils ne soient pas rémunérés si leur stage est inférieur à deux mois (C. éducation L. 612-11). Dès lors, imposer un critère lié à la rémunération reviendrait à les exclure de fait.

Enfin, mettre en place un nombre minimal de mois de rémunération sur l’année avant de pouvoir bénéficier des ASC serait un moyen détourné de réinstaurer le critère de l’ancienneté pour les nouveaux embauchés.

2.       QUELS CRITERES SONT AUTORISES ?

Il ne reste donc plus grand-chose… La vraie liberté du CSE réside dorénavant dans le choix des activités qu’il entend proposer aux salariés, qui doivent être adaptées au plus proche de la sociologie de l’entreprise.

Les critères ci-dessous sont valables en l’état actuel de la jurisprudence et des positions administratives non encore contredites.

-          Les revenus :

Il reste possible de moduler les ASC en fonction des revenus des intéressés ou de la composition de leur foyer (Lettre min. BOMT 1981/233) en leur demandant de fournir un document non attentatoire à leur vie privée (on pensera notamment au revenu fiscal de référence ou au quotient familial). Ceux qui refusent de fournir un document ne peuvent être exclus mais bénéficieront de la participation minimum du CSE.

-          La composition du foyer :

Il reste toujours possible de moduler les prestations ASC en fonction du nombre d’enfants de chaque salarié, l’URSSAF admettant le versement d’un bon d’achat d’une valeur de 5 % du plafond mensuel de la sécurité sociale par enfant de moins de 16 ans pour Noël et de moins de 26 ans pour la rentrée scolaire. Il reste également possible de rembourser sans plafond toutes les activités culturelles liées aux enfants.

3.        ET MAINTENANT ?

Chez CSE CONNECT, nous vous conseillons de vous mettre en conformité dans un futur proche  sans attendre que l’URSSAF ne prenne position car cela pourrait prendre un certain temps. Il est cependant difficile de dire s’ils vont s’aligner sur la position de la Cour de cassation. Par le passé, l’URSSAF a déjà décidé de ne pas appliquer une jurisprudence qui considérait que tous les avantages octroyés par le CSE devaient être soumis à charges sociales (Cass. Soc. – 28 janvier 1972 – n°72-13.261).

Il va vous falloir mesurer l’impact de la suppression de votre critère d’ancienneté sur votre budget ASC et le moduler en conséquence. Avec un nombre de bénéficiaires plus élevé, vos dépenses vont mathématiquement augmenter et vous risquez le déficit (temporaire ou durable selon l’état de vos réserves). Cette situation sera particulièrement compliquée à gérer dans les entreprises à fort turn-over même si octroyer le bénéfice des ASC dès l’embauche peut contribuer à le baisser de quelques dizièmes de % (c’est plutôt la direction qui a la main sur le turn-over !). 

Nous vous conseillons donc d’aborder ce point en réunion préparatoire, le trésorier et / ou le secrétaire devant présenter des simulations budgétaires en prenant en compte ces nouveaux paramètres.

Ensuite, il vous faudra décider si vous maintenez les prestations actuelles en diminuant les montants de prise en charge ou si vous les modifiez en profondeur. Si vous avez des prestations uniques à forte contribution du CSE (ex : voyages), il pourrait être pertinent d’en réduire le nombre ou de les supprimer totalement si vous souhaitez éviter qu’un stagiaire de 3e présent deux semaines dans l’entreprise puisse y avoir accès et se retrouve à Rio de Janeiro dans six mois.

Enfin, il faudra voter les (potentiellement nouvelles) activités que vous proposez aux salariés et les nouvelles conditions d’éligibilité aux ASC en réunion plénière de CSE en mettant le point ci-dessous à l’ordre du jour :

« Vote du comité sur le nouveau règlement des activités sociales et culturelles ».

Il semble quoi qu’il en soit clair que les modalités d’accès aux ASC devront être données aux nouveaux embauchés le jour de leur arrivée dans l’entreprise, au même titre que le règlement intérieur de l’entreprise ou leur badge d’accès aux locaux.

Pour finir, une petite FAQ de questions clients :

-          Si mon année comptable est en cours ?

Bien sûr, si votre année comptable a déjà démarré, il semble compliqué de changer les règles au milieu de la partie. A l’impossible nul n’est tenu comme on dit si bien, surtout que vous pouvez être engagés contractuellement avec des prestataires. Dès lors, il semblerait à minima obligatoire de modifier le règlement des ASC avant le début du prochain exercice comptable (qu’il soit calé sur l’année civile ou autre). On peut penser que l’URSSAF fera preuve d’une certaine tolérance pendant cette période de « transition ». 
Afin de prouver votre bonne foi, vous pouvez d'ores et déjà voter la modification des règles d’éligibilité pour l’année comptable à venir.

-          Quelles sanctions si je ne conforme pas à la jurisprudence de la Cour de cassation ?

Théoriquement, un salarié pourrait assigner en justice le CSE pour demander l’ouverture des droits aux ASC ou la rétroactivité de ses droits. Il pourrait également saisir le défenseur des droits.

L’URSSAF pourrait aussi décider de redresser le CSE en cas de contrôle mais ce point n’est pas forcément clair. En effet, l’URSSAF peut redresser le CSE si des prestations ont été attribuées de façon discriminatoire.
Cependant, la Cour de cassation ne dit pas que le critère de l’ancienneté est discriminatoire mais qu’il n’est juste pas prévu dans la loi, donc qu’il n’est pas possible de l’utiliser.

Dès lors, la position de l’URSSAF est d’autant plus attendue.

Mais au-delà de ces considérations juridiques, rien ne vaut le sentiment de vivre sa vie sereinement.

-          Il n’y aucun moyen de ne pas appliquer cette jurisprudence ?

Si vous êtes dans une entreprise avec une proportion importante de CDD et que vous voulez continuer à réserver le bénéfice des ASC aux CDI, alors il reste possible de “contourner” cette règle en plaçant la date d’éligibilité aux ASC dans votre période “creuse”.

Exemple : si votre entreprise double son effectif pendant l’été, alors placez la ou les dates d’éligibilité à vos ASC au moment où l’effectif est le plus faible, cela limitera l’impact sur vos finances.

De la même manière, si votre entreprise a un fort turn-over, placez la ou les dates d’éligibilité à vos ASC dans la période “creuse”, si elle existe…

-          Est-ce que c’est rétroactif ?

Oui, c’est théoriquement rétroactif sur les trois dernières années.

Cependant, il serait tout de même un peu fort de café que l’URSSAF se mette à redresser d’un coup tous ceux qui appliquaient ses propres règles. 

-          Est-ce qu’il y aura une loi pour annuler cette jurisprudence ?

C’est ce que nous pensons. Les CSE essaient depuis des décennies de sécuriser leurs pratiques et n’ont que les positions de l’administration, deux réponses à l’Assemblée nationale et quelques jurisprudences éparses de cour d’appel à se mettre sous la dent. Les « experts CSE » se contredisent sans arrêt depuis 20 ans sur ce sujet.

De plus, cet arrêt de la Cour de cassation vient un peu chambouler le marché des entreprises spécialisées dans la fourniture d’ASC aux CSE. Il y aura plus de bénéficiaires pour un montant moyen moindre, occasionnant ainsi plus de frais de gestion. En outre, certains CSE pourraient se désintéresser de certaines prestations comme les voyages s’ils ne peuvent plus contrôler a minima ceux qui y sont éligibles.   

Chez CSE CONNECT, nous espérons que le législateur en profitera pour enfin codifier les tolérances URSSAF dans la loi et ainsi clarifier le régime applicable et sécuriser les pratiques de tout le monde, ce qu’il aurait dû faire depuis des années. Si un parlementaire veut en discuter, qu’il nous contacte !